JS23

Les journées sociales 2023 du CEPAS sont organisées sous le thème “S’approprier un processus électoral mal engagé : Pistes de réflexion et d’action

Jour 1 : Désignation des acteurs de la CENI et réformes électorales

Les élections de 2018 ont laissé un goût amer dans l’opinion publique d’un bon nombre de Congolais. Les manœuvres déployées lors de la proclamation des résultats ont décrédibilisé le processus en lui-même et démobilisé certaines personnes qui, depuis 2016, avaient consenti des sacrifices pour promouvoir la démocratie en RDC. Les turbulences politiques de la recomposition des alliances ont également fragilisé la cohésion et la légitimité politique.

Le processus électoral en cours a donc la mission de recréer la cohésion nationale en déconfiture et de résoudre la crise de légitimité qui a souvent entaché les processus électoraux passés.

Ainsi, malgré toutes imperfections du processus actuel et tous les défis sécuritaires qui risquent d’exclure une partie de citoyens du processus électoral, comment s’assurer que les prochaines élections soient acceptables et donnent à la RDC des leaders suffisamment représentatifs des intérêts du Peuple ? Telle est l’interrogation fondamentale qui accompagnera en filigrane les trois prochains jours d’échanges et de réflexion.

Pour ce jour d’inauguration, c’est à 9h30 que les travaux ont démarré. Après la prière d’ouverture, le Recteur de l’ULC (Père Ferdinand Muhigirwa, sj) et le Directeur du CEPAS (Père Alain Nzadi, sj) ont tour à tour prononcé leurs mots de circonstance, avant d’inviter les participants à l’extérieur pour prendre la traditionnelle photo officielle des Journées.

Après les échanges avec la presse et la pause-café, les travaux ont commencé par le premier panel animé par deux conférenciers de renom, à savoir Monseigneur Donatien NSHOLE (Secrétaire général de la CENCO) et le Professeur Jacques Ndjoli (Juriste et Député national). Sous la modération du Professeur Willy Moka, sj, les deux panélistes se sont penchés sur la désignation controversée des animateurs de la CENI (Mgr Donatien Nshole) et les réformes électorales (Professeur Jacques Ndjoli).

Prenant la parole le premier, Monseigneur Donatien est brièvement revenu sur les épisodes qui ont conduit à la nomination de Denis Kadima à la tête de la CENI, tout en insistant sur l’importance d’avoir une Commission électorale dont l’indépendance d’action et l’intégrité morale des animateurs constituent le gage d’un processus électoral inclusif, paisible et transparent.

En effet, il est important, a-t-il insisté, que la CENI bénéficie de la confiance des différents acteurs engagés dans le processus électoral pour en garantir la réussite. Par ailleurs, étant donné que la Majorité au pouvoir, quelle qu’elle soit, cherche toujours à s’assurer le contrôle de la CENI, il est nécessaire d’intensifier l’éducation civique électorale pour éveiller la conscience de la population à s’approprier le processus électoral et à exercer le droit de souveraineté que la constitution du pays lui reconnaît en son article 5 (La souveraineté nationale appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de référendum ou d’élections et indirectement par ses représentants. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice).

Prenant la parole ensuite, le professeur Jacques Ndjoli a entretenu les participants sur l’importance des réformes électorales proposées, pour la plupart, par le « G13» (dont Delly Sesanga, Daniel Mukoko, Jacques Ndjoli, Patrick Muyaya, Henri Thomas Lokondo, Claudel Lubaya, etc.). Compte tenu du fait que l’un des problèmes fondamentaux du pays, depuis l’indépendance, demeure le manque de légitimité politique des animateurs politiques du pays, il est important que les élections à venir offrent au pays des dirigeants réellement élus par le peuple. Le professeur a énuméré, en les commentant brièvement, quelques tares des processus électoraux passés et actuel, notamment : le manque de consensus global qui se traduit par un manque de confiance entre les différents acteurs engagés dans le processus, le déficit de volonté de réformer un système électoral qui a montré ses limites par le passé, la gestion calamiteuse du temps (trop de retards enregistrés dans le démarrage des opérations et dans les décaissements des fonds), la faiblesse et la désorientation opérationnelles (feuille de route, enrôlement, audit, répartition des sièges, etc.), l’insécurité, etc. Face à ce constat amer, quels pourraient être les axes de revitalisation du processus électoral pour en assurer la réussite ? Le panéliste estime que le peuple doit se réapproprier le processus électoral pour en assurer un contrôle citoyen. En d’autres termes, il doit apprendre à utiliser son pouvoir primaire que l’article 5 de la constitution de la RDC lui reconnaît. Dans ce registre de contrôle citoyen, la société civile doit mener un combat permanent pour obtenir de la CENI des garanties nécessaires de réussite du processus électoral, notamment : la publication des résultats par bureau de vote et la publication de la cartographie des bureaux électoraux. Enfin, pour des raisons d’efficacité et de pertinence et pour apprendre des erreurs du passé, l’observation électorale future devra couvrir, dans la mesure du possible, la totalité de la cartographie électorale. Aussi pourra-t-elle disposer de résultats suffisamment représentatifs.

Après les échanges constructifs entre les panélistes et les participants, cette première journée s’est poursuivie avec des discussions en ateliers de réflexion autour de quatre groupes de questions :

1) Quel impact l’actuelle administration électorale pourrait avoir sur les résultats des prochaines élections ? Quelles actions à mener pour corriger la trajectoire parcourue et pour améliorer les étapes qui restent ?
2) Quelles sont les actions à mener pour rendre plus crédible le choix futur des animateurs de la Commission électorale ?
3) Quels sont les aspects de la réforme électorale ou autres sur lesquels les parties prenantes pourraient s’accrocher pour garantir la transparence électorale ?
4) Quelles réformes électorales ou politiques à promouvoir pour que les élections futures en RDC soient libres, inclusives, démocratiques et transparentes et participent à la consolidation de la bonne gouvernance ?

Après le débat de ces questions en ateliers de travail, une consolidation en plénière de différentes pistes de solutions a clôturé les travaux de cette première journée. Le rendez-vous est pris pour demain pour écouter trois panélistes : Ethiel Btumike du Think Tank Ebuteli, Rigobert Minani du Cepas et Jean-Baptiste Ndundu de la Société civile.

Jour 2 (mardi 30 mai 2023) : 60 participants aux travaux du jour

Les travaux de ce deuxième jour ont commencé à 9h30. Modéré par Charis Basoko (chercheur du CEPAS et coordonnateur du réseau « Po na Congo » initié par le CEPAS), le deuxième panel des Journées sociales était animé par Ethiel Batumike (chercheur principal du Think Tank Ebuteli et doctorant en droit), Rigobert Minani (responsable du secteur Recherche et animation sociopolitique du Cepas, politologue et activiste des droits humains) et Jean-Baptiste Ndundu (activiste des droits humains et ancien membre du Bureau de la CENI).

Le premier panéliste, Ethiel Batumike, a commencé par une observation simple : l’on constate une sorte de fixation sur la CENI en laissant de côté les autres institutions qui interviennent pourtant dans le processus électoral et dont l’influence est non négligeable, à l’instar de la Cour constitutionnelle et des cours et tribunaux où est traité le contentieux électoral. Aussi a-t-il décidé de placer un accent particulier sur la Cour constitutionnelle qui reste l’institution ultime en matière du contentieux électoral et qui proclame les résultats définitifs du scrutin. Etant donné qu’il existe déjà des signes précurseurs d’un contentieux électoral chaotique (comme la persistante caporalisation de la Cour, le manque de fermeté de la Cour vis-à-vis de la CENI, les défis techniques, humains et procéduraux, les réformes électorales tendres pour la Cour, etc.), il est important que la société civile reste vigilante pour pousser la Cour à exercer son indépendance dans la manière de traiter le contentieux électoral potentiel. Pour corriger les erreurs du passé, le panéliste suggère à la Cour, entre autres, de :

• Eviter les lenteurs judiciaires par l’activation du corps des conseillers référendaires pour épauler les juges dans l’étude et l’analyse des requêtes qui leur seront soumises ;
• Afficher une fermeté envers la CENI en exigeant les résultats publiés dans les formats prescrits par la loi ;
• Libéraliser l’administration de la preuve devant la Cour.

Pour prolonger la discussion sur le contentieux électoral qui pourrait devenir source d’un chaos, Rigobert Minani, deuxième panéliste, a réfléchi sur les moyens de prévenir les conflits et anticiper la violence et les discours de haine avant, pendant et après les élections de 2023. Le panéliste a commencé par expliquer comment la plupart des pays africains ont tendance à pratiquer une « démocratie cosmétique » en légitimant leurs pouvoirs autocratiques par des élections dont le processus est verrouillé et contrôlé de bout en bout par le pouvoir en place. Dans un tel environnement sociopolitique malsain, il est monnaie courante que les cycles électoraux en Afrique se caractérisent par la violence et la contestation des résultats, sans compter les discours de haine et de stigmatisation qui accompagnent la campagne électorale et la période postélectorale. Le panéliste a surtout attiré l’attention sur une forme de violence souvent négligée : la violence latente. Dans un contexte de violence latente, a-t-il poursuivi, un problème anodin pourrait déclencher des tueries et des atrocités considérables, comme c’est le cas dans les conflits identitaires. Il est donc important que les autorités politiques et la société civile restent attentives aux faits apparemment anodins qui pourraient attiser la violence et devenir incontrôlables avant, pendant et après les élections.

Ainsi, l’éducation civique et électorale demeure une des clés de réussite du processus électoral déjà en cours. C’est sur cette éducation que s’est appesanti le dernier panéliste du jour, Jean Baptiste Ndundu. Que faire pour encadrer les pratiques traditionnelles de l’éducation civique, de l’éducation électorale et de l’observation par d’autres initiatives citoyennes ? Pour répondre à cette interrogation, Jean-Baptiste Ndundu a commencé par expliquer comment l’éducation civique est un mécanisme de construction de la société. C’est grâce à l’éducation civique que l’on peut aider les citoyens à choisir des hommes et des femmes capables de veiller au bien commun et de construire une meilleure société. Pour aider les citoyens à opérer ces choix judicieux, on pourrait, par exemple, dresser le profil-type des animateurs des institutions publiques et encourager les citoyens à s’approprier le destin de la nation. Pour que le vote ne demeure pas un simple acte isolé, il est important de construire un programme d’éducation civique capable de préparer les électeurs à opérer un choix éclairé et responsable. Pour finir, le panéliste a plaidé pour la promotion de l’intégrité électorale. Celle-ci ne peut s’obtenir que grâce à une observation électorale globale et à celle des témoins des partis politiques ayant aligné des candidats. Pour contourner la difficulté de déployer des observateurs et des témoins partout à travers ce pays-continent, Jean-Baptiste Ndundu propose de recourir à la « Election Situation Room (ESR) ». Celle-ci vise à assurer une coordination d’efforts de la société civile pour contribuer à des élections démocratiques, libres et transparentes. Enfin, le panéliste a suggéré que les différentes parties prenantes au processus électoral s’imprègnent suffisamment du cadre légal électoral afin de mieux préparer le contentieux électoral éventuel et de prévenir les dérapages de la CENI.

Les réflexions des panélistes et le débat qui a suivi ont fait l’objet d’approfondissement dans les quatre ateliers de travail constitués depuis le premier jour. Une mise en commun des résultats des ateliers a clôturé les travaux de ce deuxième jour. Le rendez-vous est pris pour ce mercredi 31 mai autour de Trésor Kibangula et Jean-Baptiste Kasekwa qui entretiendront les participants sur les dynamiques politiques après la fin de la coalition FCC-CACH et sur l’impact de l’état de siège sur les prochaines élections.

Jour 3 (mercredi 31 mai 2023) : 70 participants aux travaux du jour et à la cérémonie de clôture

Pour le dernier jour de nos assises, deux panélistes se sont relayés pour nous parler tour à tour des dynamiques politiques après l’implosion de la coalition FCC-CACH et de l’impact de l’état de siège sur le processus électoral en cours.

Sous la modération de Christian Moleka (politologue, chef de travaux à l’Université de Kinshasa et président de la Dynamique des politologues congolais-DYPOL), Trésor Kibangula (chercheur au Think Tank Ebuteli et ancien journaliste de Jeune Afrique) a ouvert les échanges en analysant l’impact de la recomposition des alliances politiques sur les élections à venir et sur le processus électoral en cours. Le panéliste a commencé par rappeler comment l’alliance FCC-CACH a volé en éclats et comment le pouvoir en place s’est adjugé une majorité au parlement, avec une facilité déconcertante, alors que rien ne présageait un tel scénario, compte de la faible représentativité de CACH dans l’hémicycle. Ce fut la preuve que le politicien congolais peut facilement être balloté dans tous les sens au gré des intérêts du moment. La transhumance politique est quasiment ventriloque ! Ainsi, une première conséquence de cette recomposition de la Majorité et d’une telle capacité à transhumer simplement parce que le pâturage est vert en face, est visiblement l’illisibilité du jeu politique congolais. En effet, la plupart des acteurs politiques congolais sont souvent portés par des intérêts personnels plutôt que par une idéologie quelconque qui fonderait leurs prises de position. Une deuxième conséquence de la recomposition de l’échiquier politique est la multiplication des regroupements politiques pour augmenter leur chance de survie lors des prochaines élections, entraînant en même temps une fragilisation des partis politiques qui ne peuvent survivre qu’au sein d’un regroupement plus grand. Par ailleurs, pour s’assurer une victoire aux prochaines élections, le pouvoir en place multiplie des stratégies pour verrouiller le processus en instrumentalisant la CENI et la Cour constitutionnelle, à travers des réformes taillées sur mesure. Dans un tel environnement politique vicié, la société civile est appelée à rester vigilante pour ne pas laisser le processus électoral entre les mains des politiciens rapaces.

Le deuxième panéliste, l’honorable Jean-Baptiste Kasekwa Muhindo (député national élu de Goma et enseignant à l’Université de Goma) s’est attelé à expliquer comment l’état de siège encore en vigueur au Nord-Kivu a un impact réel sur le processus électoral en cours et pourrait entraîner des conséquences encore plus graves si une partie de citoyens congolais venaient à être complètement exclus du processus électoral comme ce fut le cas en 2018. Il a commencé par rappeler que l’état de siège est à son 694ème jour, alors qu’il était initialement prévu pour 30 jours ! Pire, ses résultats sont extrêmement mitigés à ce jour, sinon le M23 et les autres groupes armés n’auraient pas réussi aussi facilement à survivre jusqu’à ce jour et à continuer à semer la terreur dans la région. L’honorable a ensuite passé en revue d’autres conséquences de l’état de siège sur le processus électoral, notamment :

  • L’état de siège est un régime d’exception incompatible avec l’expression libre des citoyens pendant le processus électoral.
  • Les autorités militaires sont investies d’un pouvoir discrétionnaire pour autoriser ou interdire les manifestations publiques ou toute autre réunion dès lors qu’elles les considèrent comme dangereuses à leurs yeux. Dans ce contexte, comment l’électorat de ces zones pourra-t-elle jouir de sa liberté d’expression et de manifestation pendant le processus électoral ?
  • Les autorités militaires sont en mesure d’interdire de séjour dans la province tel ou tel autre acteur politique, fût-il candidat. Ce serait donc une excuse suffisante pour supprimer la compétition électorale ou simplement la tailler sur mesure.

Compte tenu de tous ces préalables, le panéliste a exprimé le souhait de plaider en faveur de la levée de l’état de siège pour permettre aux citoyens des zones concernées de jouir pleinement de leurs droits civiques. Il a enfin plaidé pour que les autorités politiques prennent au sérieux la généralisation de la violence sur l’étendue de la République, comme par exemple à Kwamuth et dans la périphérie de Kinshasa avec le « phénomène Mobondo ». Ce regain d’instabilité pourrait avoir de graves conséquences sur les élections à venir et sur la gestion de la période postélectorale.

Après les travaux en ateliers et la pause-déjeuner, les deux rapporteurs généraux ont lu le draft du rapport général des journées sociales, avant de donner la parole à Fred Bahuma (Directeur du Think Tank Ebuteli) et Alain Nzadi (Directeur du CEPAS et hôte des Journées sociales) pour leurs mots de circonstance et de clôture des Journées sociales.

Signalons que toutes les conférences seront publiées dans le numéro 576 (juin-juillet-août 2023) de la revue Congo-Afrique, organe d’expression du CEPAS.

Quelques pistes d’actions et de plaidoyers à venir (une sélection parmi une multitude)

  1. Exiger une contre-expertise du fichier électoral
  2. Amorcer une réflexion de fond au lendemain du scrutin pour proposer des réformes fondamentales de notre système électoral (notamment rendre la CENI responsable pénal).
  3. Plaidoyer pour la dépolitisation de la CENI en augmentant le quota de la société civile au sein du bureau ou en confiant l’animation de la CENI uniquement à la société civile.
  4. Au lendemain du scrutin, s’atteler à définir des critères clairs des animateurs de la future CENI.
  5. Créer un observatoire contre les discours de la haine et proposer des sanctions exemplaires contre les auteurs de tels discours.
  6. Lancer un vaste programme d’éducation civique et électoral. Proposer l’éducation électorale dans les programmes du niveau secondaire.

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