Quelques pistes à considérer pour un développement accéléré de la RD Congo

Alain NZADI- A-NZADI, S.J.
Chercheur en littératures francophones.
Directeur du CEPAS et Rédacteur en Chef de Congo-Afrique.

« Le Congo, qualifié à juste titre, de “scandale géologique”, est comparable à une jeune fille scandaleusement belle. Pour autant, son destin est-il de se dévoyer sur les trottoirs des bas-fonds mal famés pour y exploiter ses charmes et courir des risques indus associés à ces activités nébuleuses et à cette posture équivoque ? La tendance à s’exhiber et à mettre en avant ses atouts naturels, au détriment de ses autres qualités humaines, face aux autres, contribue à conforter sa position d’enjeu pour ces autres, de simple proie qui attend d’être conquise, y compris par l’agression violente. » [1]

Quand on sort de la RD Congo pour sillonner le reste de l’Afrique sub-saharienne, l’on est frappé par les efforts que les autres pays, pourtant moins bien lotis en termes des ressources naturelles, fournissent en matière de développement. Il est vrai que tout n’y est pas rose. Néanmoins, force est de reconnaître que compte tenu de ce dont la nature a doté la RD Congo, il est ahurissant d’occuper la position qui est la nôtre aujourd’hui en matière de développement, plus de soixante ans après l’indépendance. L’on ne cesse de nous rabâcher le même panégyrique sur le « scandale géologique » que représenterait le pays, alors même que, paradoxalement, l’assiette du Congolais lambda est constamment dégarnie ou très maigrement pourvue ; sans parler des infrastructures dans leur ensemble qui n’ont pas fait de progrès à la mesure des potentialités de ce « scandale géologique » ! Richesses minières, terres arables, cours d’eau et forêts…, la RD Congo est réellement un « scandale ».

Mais, là où le bât blesse, c’est quand on se rend compte que ceux à qui cette merveilleuse nation a été confiée s’affairent à la détruire plutôt qu’à la transformer en paradis ; ils rivalisent de manque d’imagination et surtout de volonté politique qui brouillent l’avenir de la majorité des citoyens. En effet, au lieu de chercher continuellement des bouc-émissaires pour justifier l’infortune du pays et son enlisement dans la misère, ne faudrait-il pas nous interroger nous-mêmes et réfléchir sur les pistes capables d’accélérer le développement du pays pour le mettre au diapason du scandale géologique qu’il représente ?

Quels pourraient être ces chantiers porteurs de développement ? C’est la question topique qui sous-tend les réflexions que Congo-Afrique se propose de publier dans son édition de mai qui, habituellement, célèbre et honore le travail.

Pour commencer, il convient de réévaluer la manière dont l’administration publique fonctionne en RD Congo. Stylianos Moshonas et Séraphin Baharani se penchent sur la question pour en analyser les enjeux et les défis. Comme le soulignent ces deux auteurs, mettre en place une administration publique moderne, honnête et efficace doit être considéré comme la priorité de la réforme structurelle. Les effets d’une telle administration se feront certainement sentir sur l’exécution d’autres réformes, notamment l’amélioration du climat des affaires avec l’élimination ou l’atténuation de la corruption et d’autres comportements inciviques. Les deux chercheurs recommandent donc que l’administration publique, épine dorsale du fonctionnement des institutions d’un pays, soit dépolitisée et qu’elle cesse d’être un fourre-tout où sont déversés des milliers de diplômés (ou non- diplômés !), en faisant fi des règles de compétence et des besoins réels de l’administration publique.

C’est peut-être ici qu’il convient de rappeler que le gouvernement devrait s’atteler aussi à booster le secteur privé pour aider à résorber le chômage endémique, notamment dans les milieux des jeunes diplômés[2]. Car, il est dommage que le secteur public soit pratiquement le seul débouché professionnel auquel l’immense majorité de nos jeunes diplômés pensent, faute d’alternatives fiables et viables.

Une administration publique efficace et efficiente permettra également de maximiser les recettes dans les provinces et de diminuer la fraude, comme le fait remarquer Bawili Lukele qui analyse la mobilisation des recettes locales par les entités territoriales décentralisées au Sud-Kivu. À l’en croire, le cas étudié révèle que le processus de décentralisation lancé en RD Congo depuis plus d’une décennie bat de l’aile et connaît plusieurs écueils dans sa mise en œuvre. Matérialiser la réforme de l’administration publique paraît donc le passage obligé pour une meilleure conception des politiques publiques et leur exécution.

De l’administration publique assainie et professionnelle à une fiscalité efficace et productive, il n’y a qu’un pas, pourrait-on dire ! Dans ce sens, Henock Mpoyi, Fernand Ngunza et Tshisambi analysent la fraude fiscale en RD Congo et proposent quelques moyens pour l’endiguer. En effet, il est possible d’après ces trois chercheurs, de mobiliser davantage des recettes publiques si la corruption et la fraude fiscale sont maîtrisées.

Comment les pays moins bien lotis que la RD Congo parviennent-ils à sortir de l’ornière du sous-développement sinon par une politique fiscale responsable et incitative ? Les milliards de dollars qui prennent des chemins inconnus auraient certainement déjà pu contribuer à changer le visage de nos routes défoncées et de nos villes insalubres s’ils avaient été utilisés à bon escient. En outre, il y a bien longtemps que des milliers de citoyens auraient vu leur situation sociale s’améliorer si les recettes fiscales tombaient entre les mains d’un Gouvernement responsable et soucieux du bien-être de sa population. Décidément, le pays a besoin d’une éthique fiscale pour se donner les moyens de sa politique et décoller, comme s’emploie à le démontrer Willy Moka dans son étude sur la justice fiscale grâce au miroir de la doctrine sociale de l’Église (catholique).

Du reste, si l’administration publique est réformée et modernisée, et que l’éthique fiscale imprègne les mœurs des citoyens, Tshizanga Mutshipangu suggère une troisième piste à explorer pour accélérer le développement du pays et améliorer, à court terme, l’accès à l’emploi : la promotion de la sous-traitance et des chaînes de valeur dans l’exploitation des ressources naturelles dans notre pays. Tout en s’investissant pour que les entrepreneurs locaux s’intéressent à ce domaine, les pouvoirs publics sont également invités à accompagner ces sous-traitants dans leur processus de croissance et dans leurs ambitions de devenir, à terme, de grandes entreprises.

Pour terminer, Léonide Mupepele profite du regain d’intérêt au méga projet du barrage d’Inga pour attirer l’attention des décideurs sur des faux- pas à ne pas faire au moment d’engager le pays sur ce chemin. Il souligne, en outre, que les grands projets, à l’instar d’Inga, sont un atout fondamental pour le développement du pays et l’interconnexion des provinces.

On le voit, il est possible de transformer le scandale géologique stérile actuel en une réelle opportunité de développement. Mais il faudrait, pour y arriver, que les pouvoirs publics et les citoyens appliquent un modèle de leadership dont le développement du pays et le bien-être de la population sont, en permanence, la cible à atteindre, au-delà des clivages politiques et/ou régionales.


[1] Donatien NGOMA BANOTA, « Conditions d’émergence de la RD Congo », in Congo-Afrique (janvier 2016), n°501, p. 21

[2] Alain NZADI-a-NZADI, « L’emploi en RD Congo et en Afrique, un défi cauchemardesque pour les jeunes », in Congo-Afrique (mai 2017), n° 515, pp. 405-407.