JS2022

Du 23 au 25 mai 2022, le secteur Recherche et Animation sociopolitique du CEPAS a organisé l’édition 2022 des Journées Sociales du CEPAS sous le thème : « Enjeux et dynamique de la continuation des conflits à l’Est de la RDC »

Jour 1 : Gros plan sur l’ITURI – Environ 60 personnes ont pris part aux débats

C’est depuis plus de deux décennies que l’Est de la RD Congo est le théâtre des conflits armés qui ont causé, à ce jour, des millions de morts. Malgré les efforts récurrents des acteurs locaux, régionaux et internationaux de ramener la paix dans cette partie du pays, les armes ne se taisent pas ; les massacres des civils et les viols des femmes et des enfants continuent de condamner des dizaines de milliers de personnes à une vie d’errance et d’insécurité sans précédent.

Les Journées sociales de 2022 sont une tentative de compréhension des enjeux de la continuation des conflits à l’Est du pays. Pour y arriver, les différents panélistes et les participants à ces Journées devront : discuter des raisons à la base de la continuation des conflits en RDC, explorer les logiques des conflits locaux et les voies de solution, identifier le rapport entre les conflits locaux et les acteurs nationaux, explorer l’impact de l’intervention des pays voisins de l’Est de la RDC dans la continuation des conflits et proposer des actions à mener au niveau national pour faire des conflits de l’Est une priorité de gouvernance nationale.

La méthodologie de travail sera de procéder à un gros plan sur les trois provinces concernées, à savoir : l’Ituri, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Deux regards croisés sur chacune des provinces (un chercheur et celui un acteur de terrain) seront proposés à la réflexion des participants sous forme d’un panel. Ensuite, des discussions se poursuivront en ateliers après chaque panel du jour.

Il sied de souligner que l’édition 2022 des Journées sociales est organisée en collaboration avec le Think Tank « EBUTELI » et l’Université Loyola du Congo (ULC).

Pour ce jour d’inauguration, c’est à 9h15 que les travaux ont démarré. Après la prière d’ouverture, le Recteur de l’ULC, le Directeur d’EBUTELI et le Directeur du CEPAS ont, tour à tour, prononcé leurs mots de circonstance, avant d’inviter les participants à l’extérieur pour prendre la traditionnelle photo officielle des Journées.

Après les échanges avec la presse et la pause-café, les travaux ont commencé par un gros plan sur l’Ituri. Sous la modération du Père Toussaint Kafarhire, les deux panélistes du jour (Me Nickson Kambale, chercheur, et Me Jean-Bosco Lalo, acteur de la société civile) se sont penchés sur les conflits en Ituri avec l’objectif de : retracer l’historique, comprendre les enjeux, éplucher le rôle du Gouvernement central et des acteurs de terrain (armée régulière, miliciens, société civile, etc.) et proposer des pistes de solution ou des voies de sortie de crise durables.

La continuation des conflits dans cette partie du pays est une preuve que les approches employées jusqu’ici ont montré leurs limites. Parmi les pistes de solution les deux panélistes proposent de :

  • Diversifier les approches des conflits pour éviter le piège de privilégier exclusivement l’approche militaire qui semble montrer ses limites. En effet, il faudrait identifier les problèmes qui ne peuvent pas être résolus par l’approche militaire, notamment la question de la cohabitation paisible des communautés locales et l’accès aux ressources naturelles et aux moyens de survie ;
  • Restaurer l’autorité de l’Etat. ;
  • Casser le « business de la guerre » dont les acteurs se recrutent non seulement parmi les miliciens (nationaux et internationaux) mais aussi parmi les généraux et les autres officiers militaires ;
  • Repenser la gouvernance foncière (nombre de conflits fonciers de plus en plus important, étant donné qu’il s’agit d’un secteur extrêmement juteux) ;
  • Mieux gérer les mouvements des populations d’une zone à une autre, souvent à la recherche de la survie. Ces mouvements importants des populations peuvent devenir, à la longue, source de conflits interethniques s’ils ne sont pas bien encadrés.
  • Repenser la politique de délocalisation et de dédommagement des communautés locales pour des raisons d’exploitation minière ou pétrolière. Certains participants ont estimé que cette question est mieux gérée du côté ugandais que congolais, en rapport avec l’exploitation potentielle des blocs pétroliers qui se trouvent de part et d’autres de la frontière avec l’Uganda.

Après les échanges constructifs entre les panélistes et les participants, cette première journée s’est poursuivie avec des discussions en ateliers de réflexion autour de la compréhension du problème et des solutions idoines à proposer. Une mise en commun a clôturé les travaux de cette première journée.

JOUR 2 (mardi 24 mai 2022) : Gros plan sur les conflits au Nord-Kivu – un peu plus de 70 participants aux travaux du jour

Dans l’esprit de la méthodologie choisie pendant ces journées sociales, le deuxième jour a effectué un gros plan sur le Nord Kivu, avec un accent particulier sur la région de Beni. Sous la modération de M. Jean Senga (chercheur à Amnesty International), l’abbé Malonga (professeur de droit public à l’université catholique de Graben à Butembo), intervenant via zoom, et M. Pierre Boiselet (chercheur principal du Think Tank EBUTELI et collaborateur du Groupe d’Etude sur le Congo-GEC) ont analysé les conflits au Nord Kivu en passant au crible les différents aspects : historique, acteurs, enjeux, intérêts et pistes de solutions.

Quelle serait l’origine des conflits ? Il faut remonter jusqu’au génocide rwandais de 1994 pour mieux comprendre la prolifération des groupes armés et l’accentuation des massacres dans cette partie du pays. En effet, l’on s’accorde à reconnaître que l’une des conséquences directes du génocide rwandais était la naissance de divers groupes armés (à ce jour les principaux groupes semblent être les FDLR, les ADF-NALU et le M23) et leur dissémination dans toute la région de l’Est du Congo, sans compter les centaines de milliers de réfugiés fuyant les atrocités, dont certains, assimilés aux FDLR, avaient traversé la frontière de la RDC avec armes et munitions.

Quels sont les acteurs de ces conflits ? Les deux panélistes ont pointé du doigt les accointances de divers groupes armés avec le Rwanda et l’Ouganda. Les armées de ces deux pays s’appuient parfois sur les deux principales nébuleuses (Adf-Nalu pour l’Ouganda et Fdlr pour le Rwanda) pour traverser la frontière et se livrer à des exactions en RDC, prenant prétexte d’une déstabilisation de leurs pays respectifs orchestrés par les groupes armés qui auraient une base-arrière à l’Est de la RDC. D’autres acteurs sont également à pointer du doigt, notamment : l’armée régulière congolaise (à travers l’affairisme de certains de ses officiers), les différentes forces de stabilisation et de maintien de la paix (dont la mission peine à faire ses preuves), le Gouvernement central (qui ne parvient pas à prendre le taureau par les cornes pour éradiquer définitivement les violences.

Quelles sont les causes  des conflits et de leur continuation à ce jour ? Plusieurs causes peuvent être épinglées pour comprendre les raisons de la continuation des conflits et de l’échec des efforts successifs de restauration de la paix, notamment : conflits au Rwanda et en Ouganda, expulsion des réfugiés hutus de la Tanzanie en 2013, opérations très mal menées de « brassage » et de « mixage » qui ont contribué à infiltrer les hautes sphères de commandement de l’armée congolaise, échec des opérations telles que « Sokola 1 et Sokola 2 », affairisme des officiers militaires congolais et de certaines unités internationales de maintien de la paix, existence de trois nébuleuses (Adf-Nalu, Fdlr et M23) qui seraient l’arbre qui cache la forêt (accusées d’être parrainées par le Rwanda et l’Ouganda), mauvaise gestion des réfugiés et des mouvements incontrôlés des populations, instrumentalisation et politisation de l’appartenance tribale, mauvaise gestion de l’état de siège (qui n’a pas réussi à arrêter les massacres), etc.

Comment entrevoir le bout du tunnel ? Pour juguler les violences à l’Est du pays, les deux panélistes proposent, notamment de:

  • Réformer l’armée pour identifier les éléments infiltrés et les radier de l’armée ;
  • Redynamiser et accélérer le processus DDRCS (Démobilisation, Désarmement, Relèvement Communautaire et Stabilisation) ;
  • Renforcer la lutte contre l’impunité ;
  • Pratiquer une diplomatie agissante avec les pays voisins ;
  • Renforcer la bonne gouvernance pour permettre un accès plus équitable aux richesses du pays;
  • Penser à une meilleure prise en charge des militaires pour éviter de les clochardiser ;
  • Mettre en place une stratégie d’ensemble pour faire face aux défis sécuritaires (mieux articuler les différents services : armée, police, services de renseignement) ;
  • Mettre en place un point focal qui s’occuperait spécifiquement des zones de conflit à l’Est du pays ;
  • Entamer des négociations avec différents groupes en évitant une intégration collective dans l’armée nationale.
  • Eviter la politisation des problèmes.

Après la mise en commun des résultats des échanges en ateliers de travail, la journée s’est achevée par un repas fraternel auquel étaient conviés tous les participants.

JOUR 3 (mercredi 25 mai 2022) : Gros plan sur les conflits au Sud-Kivu – Un peu plus de 80 participants aux travaux du jour et à la cérémonie de clôture

Dans un premier temps, le professeur Naupess Kibiswa (UCC) et l’honorable Enock Sebineza (intervenant via zoom) à partir d’Uvira, ont livré deux sons de cloche différents à propos des conflits récurrents au Sud-Kivu.

Puisant dans ses recherches doctorales à Nova Southeastern University (titre de la thèse : « Ethnonationalism and Conflict Resolution: The Armed Group Bany2 in DR Congo »), le professeur Naupess est parti d’un postulat de recherche : lorsque la loyauté à l’ethnie prévaut sur la loyauté à la nation, l’on devient ethnonationaliste. Par ailleurs, lorsque les ethnonationalistes ainsi qualifiés deviennent hégémoniques et se lancent à la quête d’un Etat indépendant, les conflits qui pourraient en résulter sont généralement interminables. Ainsi, partant de cette thèse qu’il a étayée par des données de sa recherche doctorale, le professeur Naupess a analysé les conflits récurrents au Sud-Kivu où ceux qu’il a qualifiés de « Banya-Rwanda/Banya-Mulenge » (ou, d’après son néologisme, « Bany2 ») sont souvent aux prises avec d’autres communautés locales. A l’en croire, l’une des raisons principales des conflits interminables (par le truchement d’une multitude de groupes armés) serait la quête d’un Etat indépendant de la part des Bany2. Dans ce sens, la construction de la paix sera difficile si les Bany2 ne se départissent pas de leurs convictions hégémoniques.

Pour enrayer les conflits dans cette partie du pays, le panéliste a proposé que l’armée congolaise soit renforcée et que le pays noue des alliances directes avec des puissances capables de l’aider à maintenir la paix à la frontière avec le Rwanda. Des accords de bon voisinage devraient aussi être noués avec tous les pays voisins de la RDC pour que cessent des agressions continuelles des armées étrangères par « rébellions congolaises » interposées. Par-dessus tout, il faut prôner un nationalisme civique plutôt que l’ethnonationalisme qui exacerbe souvent les atavismes tribaux au détriment de l’appartenance à une nation multiculturelle.

Réagissant à l’exposé du professeur Naupess, l’honorable Enock Sebineza a battu en brèche la thèse d’hégémonisme des Bany2. Il a commencé par un rappel historique des faits pour démontrer que les Bany2 sont autochtones de la région. Par ailleurs, les accusations d’accointances avec les autorités et l’armée rwandaises n’auraient aucun fondement, au vu des faits sur le terrain. Les Bany2 ne demandent qu’à vivre dans la paix avec toutes les autres communautés locales. Pourtant, ils se sentent discriminés et victimes de la propagande des politiciens mal intentionnés. L’honorable a chuté par faire quelques recommandations susceptibles de favoriser un vivre-ensemble harmonieux, notamment : éviter les généralisations hâtives et abusives de type « Tous les Banya-Mulenge sont hégmoniques et sont à la solde du Rwanda… » ; éviter d’utiliser les conflits interethniques à des fins politiciennes.

Comme il fallait s’y attendre, le débat qui a suivi les deux interventions a été houleux mais constructif. Pour avancer dans la recherche des solutions, le dernier conférencier des journées sociales, Dr Rigobert Minani, s’est attelé à expliquer les déterminants locaux, nationaux et régionaux des conflits à l’Est de la RD Congo. D’après lui, il y a des variables de l’équation qu’il faut prendre en compte quand on réfléchit sur les conflits à l’Est, notamment : la faiblesse chronique du pouvoir central, le problème foncier, l’imbroglio identitaire, les compétitions politiques (quel type d’élection…pour limiter les frustrations), les pays voisins (un plan tacite de balkanisation et de contrôle d’une partie de la RDC serait en cours d’exécution), les ressources naturelles qui servent de « carburant de la guerre », la pauvreté, le chômage des jeunes, etc. Chaque variable est en elle-même une équation à multiples inconnues !

Comment peut-on construire la paix dans une situation aussi complexe ? Selon Rigobert Minani, pour mieux intervenir dans un conflit, il est nécessaire de :

  • Définir correctement et bien comprendre les causes sous-jacentes des affrontements et les corrélations entre ces causes (facteurs-clés d’ordre historique, politique, culturel, social et économique) ;
  • S’attaquer aux causes profondes des violences ;
  • Elaborer un processus de construction de la paix à long terme qui donne la capacité à la population de tisser une société civile durable ;
  • Aider la communauté à consolider les anticorps de la santé sociale ;
  • S’assurer que le processus de paix est localement approprié ;
  • Identifier et inclure toutes les parties concernées ;
  • Prendre du temps. Il faut se méfier des raccourcis. La paix est une entreprise à long terme qui exige flexibilité, patience et persévérance.

Au terme de la dernière conférence, les participants ont été invités à proposer d’autres voies de sortie de crise et à formuler des recommandations à tous les échelons.

Après la pause-déjeuner, les deux rapporteurs généraux ont lu le draft du rapport général des journées sociales, et le directeur du CEPAS a prononcé le discours de clôture des assises, invitant les participants à devenir les « multiplicateurs » de l’action du CEPAS.

Signalons que toutes les conférences seront publiées dans le numéro 566 (juin-juillet-août 2022) de la revue Congo-Afrique, organe d’expression du CEPAS.