Journées sociales 2020

Thème : « Accaparement des terres et défis du foncier en RD Congo »

Jour 1 : Etat de lieu de l’accaparement dans les secteurs forestier et minier

70 participants ont pris part aux travaux du jour

            Tout a commencé à 9h15 par l’hymne national suivi de la prière d’ouverture conduite par le Père Provincial des Jésuites d’Afrique centrale, Rigobert Kyungu. Le Directeur du CEPAS, Alain Nzadi, a ensuite prononcé le discours d’ouverture et déclaré officiellement ouvertes les Journées Sociales 2020.

            Avant de clôturer la première partie du programme et de prendre la traditionnelle photo de famille, le Père Rigobert Minani, modérateur général des Journées et responsable du secteur Recherche et animation sociopolitique du CEPAS, a donné des indications pratiques concernant la démarche de ces trois jours de réflexion.

            Au retour de la pause-café, sous la modération du Professeur Willy Moka, sj, les deux panélistes du jour (M. Henry Muhiya, secrétaire exécutif CERN/CENCO et M. René Ngongo, écologiste et membre du CES) ont analysé tour à tour la question de l’accaparement des terres dans les secteurs minier et forestier.

            A en croire M. Henry Muhiya, les grandes multinationales qui exploitent les minerais dans notre pays profitent parfois de la faiblesse des lois qui régissent ce domaine pour s’adjuger des titres miniers sur des vastes étendues de terres sur lesquelles elles règnent presque en maîtres, ghettoïsant au passage les petits exploitants artisanaux  et même dépossédant les populations autochtones de leurs terres ancestrales.

            Le même constat s’opère également dans le domaine de l’exploitation forestière, a renchéri le deuxième panéliste, M René Ngongo. En effet, les compagnies agroindustrielles et les exploitants forestiers se ruent actuellement sur la RD Congo pour bénéficier de ses millions de terres arables et de ses forêts. Il n’est pas rare, dans cette course effrénée vers ces « richesses vertes », que des communautés entières soient sacrifiées et abandonnées sur le pavé, au profit des multinationales qui bénéficient de la complicité de certaines autorités (politiques ou coutumières).

            Face à cet état des choses, la société civile doit jouer son rôle de sensibilisation à une gouvernance foncière responsable dans le secteur minier et forestier. Dans ce sens, il serait souhaitable qu’elle exige des autorités politiques et coutumières qu’elles publient systématiquement les contrats signés avec des multinationales, pour lui permettre de contrôler la boulimie foncière de celles-ci.

            Après les échanges constructifs entre les panélistes et les participants, cette première journée s’est poursuivie avec des discussions en ateliers de réflexion et une mise en commun des résultats.

Jour 2 : Accaparement des terres : cas emblématiques

65 participants aux travaux du jour

            Le deuxième jour des Journées sociales a été consacré à l’étude de quelques cas emblématiques qui sont largement commentés dans la presse et dans les réseaux sociaux congolais : les projets agroindustriels Bukangalonzo (80 mille hectares, provinces de kwilu-kwango) et FERONIA (100 mille hectares, province de la Tshopo). Les deux panélistes du jour ont proposé deux lectures croisées de ces grands projets agroindustriels, particulièrement celui de Bukangalonzo, en raison des sommes importantes qui y ont été englouties (plus de 200 millions de dollars américains).

            Pour le premier panéliste, Professeur Ntangoma (expert économiste, ancien conseiller à la primature dans le gouvernement Matata et chercheur au Think Tank « Congo Challenge »), les grands projets agroindustriels, de l’envergure de Bukangalonzo, contribuent au développement de la RD Congo. Le montage de Bukangalonzo, par exemple, avait l’ambition de diminuer la dépendance alimentaire de la RDC vis-à-vis de l’extérieur (le pays dépense plus de deux milliards de dollars en importation des denrées alimentaires et autres produits agricoles). A en croire l’orateur, les populations autochtones n’ont pas été expropriées de leurs terres ancestrales. Au contraire, l’idée du projet était, à terme, tout en maintenant les populations locales sur leurs terres ancestrales, de booster la capacité de production des ménages répertoriés sur l’aire d’exploitation et de développer une sorte d’agrobusiness au bénéfice de ces ménages, en plus de faire de Bukangalonzo le grenier de certaines grandes villes alentours (Kikwit, Kenge, Kinshasa, etc.). Malheureusement, a regretté le conférencier, le changement de gouvernement a constitué un coup de massue pour ce projet, avec le ralentissement de son développement et, en fin de compte, la suspension des activités.

            Dans la foulée, le deuxième panéliste, M. Floribert Tolendeli (ingénieur agronome, spécialisation en économie sociale, expert du Conseil Economique et Social), a rappelé que, si elle ne veut pas s’apparenter à un accaparement abusif, toute expropriation, aussi légale soit-elle, doit remplir, de la part des populations concernées, les conditions ci-après : consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. En effet, l’orateur a souligné que le fait d’obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, de la part des communautés affectées par des grands projets agroindustriels, est une obligation et non une faveur ! Or, il s’avère, d’après son analyse, que le projet Bukangalonzo (et dans une moindre mesure FERONA) n’ont pas rempli toutes ces conditions car des populations se trouvent dépossédées de leurs terres ancestrales ou, tout au moins, condamnées à vivre comme des « locataires à vie » sur leur propre terre. Il a conclu son exposé avec quelques recommandations pour protéger les communautés locales souvent victimes d’expropriations abusives, notamment : l’amélioration de la gouvernance foncière, la responsabilisation du citoyen afin de le sortir du simple rôle de votant épisodique et de l’aider à devenir acteur de son propre développement, le renforcement de l’agriculture familiale au détriment de vastes projets agroindustriels qui se révèlent, à terme, des éléphants blancs.

            Après ces deux exposés, les échanges qui ont suivi sont revenus sur des questions éludées par les panélistes, comme, par exemple, les raisons fondamentales du fiasco du grand projet Bukangalonzo qui a pourtant englouti plus de 200 millions de dollars des contribuables congolais. Ces questions oubliées et d’autres proposées par les panélistes ont fait l’objet des discussions dans les 4 ateliers prévus, avant une mise en commun des résultats intervenue en début d’après-midi.

JOUR 3 : plus de 80 participants aux travaux du jour et à la cérémonie de clôture

            Ce dernier jour, sous la modération du père Alain N’kisi, a été consacré à la problématique politique, juridique et sociale de la gouvernance foncière en RDC. Pour éclairer la lanterne des participants et accompagner leur réflexion, M. Floribert Nyamoga (expert en réformes institutionnelles) a passé en revue le cadre juridique de la gestion foncière et les pratiques qui ont cours.

            De prime abord, il a fait remarquer que dans la culture africaine, dans la culture humaine en général, la terre est un élément de pouvoir : pouvoir social, pouvoir économique, pouvoir politique ; contrôler la terre, c’est contrôler la société. Bref, la terre c’est le pouvoir ! C’est peut-être conscient de cette vérité séculaire que l’Etat congolais s’est arrogé le pouvoir absolu sur le sol et le sous-sol congolais[1].

Dès lors, a renchéri le panéliste du jour, le système foncier congolais est construit autour d’un dualisme juridique : l’État, propriétaire foncier, ou, d’après les évolutions de la Constitution de 2006, détenteur de la souveraineté sur le sol, exerce ses droits à côté du pouvoir coutumier, détenteur de la légitimité sur le sol : il n’existe pas un seul centimètre carré de terre qui ne soit reconnu comme espace appartenant à une certaine communauté locale, qui y exerce ses droits légitimes de résidence et en tire sa subsistance.

Dans ce système, l’État confère la légalité sur la terre, à travers le régime des concessions, celles-ci étant entendues comme des cessions de droit sur un espace bien délimité pour un usage prédéterminé et pour une durée de temps bien définie, le tout étant porté par un contrat reprenant les clauses essentielles de la concession. En contrepartie, le concessionnaire paie à l’Etat  concédant une taxe de superficie, un impôt sur l’activité exercée, et met la terre concédée en valeur selon la destination convenue.

Mais, que constate-t-on dans la pratique ? Des enquêtes menées, aussi bien dans les milieux urbains que ruraux, ont révélé plusieurs pratiques que le conférencier a jugées conflictogènes, notamment : faible titrisation en milieu urbain (au rythme actuel d’octroi de titres fonciers, il faudra 300 ans pour finir de délivrer la certification), occupations sans titre en milieu rural (moins de 5% de terrains agricoles couverts par une certification), non renouvellement de titres, faible mise en valeur des terres cédées aux tiers (certains tiers appliquent un système de thésaurisation foncière aux dépens des communautés locales qui ne peuvent plus accéder à ces vastes étendues « patrimonialisées »).

Comment remédier à ces écueils ?  Le conférencier a suggéré quelques pistes de solution comme, par exemple : reconnaissance et sécurisation des droits fonciers locaux ; mise en place d’un cadre pour harmoniser les dispositions légales ayant incidence sur le Foncier qui seraient intégrées dans d’autres lois sectorielles, décentralisation de la gouvernance foncière (visant à organiser un système d’information foncière qui permettra d’enregistrer même les droits informels organisés par les différentes autorités coutumières), délivrance de titres fonciers coutumiers.

Après le débat qui a suivi la conférence, madame Angélique Sita Akele (professeure de droit pénal à l’université de Kinshasa) est intervenue pour préciser et clarifier davantage certains concepts employés pendant nos assises, dont le concept-clé « accaparement » en matière foncière.

Comme les deux jours précédents, les participants se sont regroupés dans quatre différents ateliers pour approfondir le thème du jour et proposer des recommandations générales au terme des journées sociales.

            Après la pause-déjeuner, les deux rapporteurs généraux ont lu le draft du rapport général des journées sociales, et le directeur du CEPAS a prononcé le discours de clôture des assises.

            Signalons que toutes les conférences seront publiées dans le numéro 550 (décembre 2020) de la revue Congo-Afrique, organe d’expression du CEPAS.


[1] L’on sait, par exemple, que depuis le 7 juin 1966, la loi Bakajika oblige toute personne physique ou morale ayant bénéficié avant le 30 juin 1960 de cessions ou de concessions foncières, minières et forestières, à introduire de nouvelles demandes aux ministères compétents du gouvernement central qui statueront librement sur l’octroi ou le refus des concessions. (cf. Afrique-Actualité dans Congo-Afrique, mai-juin-juillet 1966). Par ailleurs, la loi constitutionnelle 71-008 du 31 décembre 1971, régissant les terres cédées ou concédées non mises en valeur (« renforcement de la loi Bakajika ») introduisit dans la Constitution d’alors, un article 14bis selon lequel « le sol et le sous-sol sont la propriété exclusive et inaliénable de l’Etat. Et celui-ci, contrairement à ce qu’avait accepté Léopold II, ne pouvait accorder à qui que ce fût, que des locations et concessions ». C’était la reprise par l’Etat de la pleine et libre disposition de tous ses droits sur le sol, le sous-sol et les ressources naturelles. » (Afrique-Actualité dans Congo-Afrique, janvier 1972).